Par un jour ensoleillé, la silhouette irréelle de la distillerie The Dalmore se profile sur le ciel du nord-est de l’Écosse. Le paysage doré à l’infini évoque les robinets en cuivre de l’établissement et ses extérieurs soigneusement polis. Ses nuances reflètent bien l’exportation très convoitée de la région : le whisky.
Au cœur de la distillerie de whisky The Dalmore dans le nord-est de l’Écosse
Sur les rives du Cromarty Firth en Écosse, l’un des meilleurs whiskies du monde est plus vénéré que l’or.
De Jamie Lafferty - 24 septembre 2020
The Dalmore a toujours été distillé ici, aux abords du village d’Alness, à une demi-heure de route de la capitale des highlands écossais, Inverness. Le Cromarty Firth, bras du Moray Firth désigné zone faunique à protection spéciale, se jette dans les eaux sauvages de la mer du Nord, tandis qu’à l’intérieur des terres, il avance jusqu’à Dingwall. Ce n’est pas la région des montagnes les plus spectaculaires d’Écosse, mais avec le mythique Loch Ness à 35 milles, vous y trouverez certains des cours d’eau les plus remarquables du pays.
Fondée en 1839 par l’entrepreneur Sir Alexander Matheson – dont la famille a fait fortune dans le commerce en Extrême-Orient – The Dalmore a été reprise en 1867 par Andrew et Charles Mackenzie du clan Mackenzie, pour devenir rapidement la productrice de l’un des meilleurs malts du pays. Bien que d’autres distillateurs visaient autant la quantité et la constance que la qualité, les Mackenzie ont eu l’audace de faire vieillir leurs liquides deux fois plus longtemps que la norme dans l’industrie, produisant The Dalmore de 12 ans (bouteille d’entrée de gamme encore à ce jour), alors que la plupart de leurs rivaux se contentaient d’embouteiller après six ans. Lorsqu’ils ont lancé leur bouteille de 30 ans en 1908, personne n’avait rien vu de tel.
Depuis, rien n’a changé, ou presque. « Quant à la distillerie proprement dite et au processus de production du whisky, les choses sont restées en grande partie les mêmes », indique Shauna Jennens, cadre de la maison Dalmore notamment chargée des visites privées de la distillerie. Ces visites comprendre des dégustations poussées, des dîners et l’accord avec de bons cigares. À une certaine distance de la distillerie, on peut séjourner dans des établissements comme le Fife Arms, hôtel phare de Braemar où The Dalmore a fêté son 180e anniversaire l’an dernier.
Aujourd’hui, l’entreprise appartient à des géants du secteur, Whyte & Mackay, qui appartiennent eux-mêmes à Emperador Distillers, géré par Andrew Tan, milliardaire chinois des Philippines. « Nous avons connu un important investissement pendant la dernière année, avec une remise à neuf totale de notre centre des visiteurs. De plus, notre clientèle a maintenant changé – nous enregistrons beaucoup plus d’achats privés et de ventes de tonneaux », explique Mme Jennens. « Les exigences de ces clients sont très différentes, mais en fin de compte, c’est le même whisky. »
Chez The Dalmore, le cinquantenaire Scott Horner travaille de la même façon depuis 28 ans. Par définition, le scotch ne permet pas beaucoup d’improvisation, mais exige le souci du détail. « Nous gérons tout ici chez The Dalmore – la mouture, le broyage, la salle des tonneaux et les alambics », indique l’opérateur général de la production, vigilant devant l’ordinateur qui affiche les températures et les pressions des liquides en divers endroits de la distillerie. De nos jours, une grande partie du processus est automatisée et des travailleurs comme Scott Horner doivent surveiller attentivement les chiffres.
Le travail manuel prédominait autrefois, avec les feux qui chauffaient les tonneaux et les travailleurs qui exécutaient le laborieux maltage de l’orge. Le produit final était peut-être plus artisanal, mais il était aussi moins constant, de moins grande qualité et beaucoup plus exigeant pour ses producteurs : la répétition extrême entraînait souvent une déformation physique appelée « épaule de singe ».
C’est plutôt après les opérations initiales que The Dalmore s’exprime pleinement. Il est vieilli dans au moins deux fûts en bois – une des techniques qui confère à The Dalmore son profil de saveur veloutée. La première étape de maturation commence par des barils en chêne blanc d’Amérique précédemment utilisés pour le bourbon du Kentucky, afin d’ajouter des notes de vanille intense, d’épices, de miel et d’agrumes. Après quoi, il est transféré dans des barils de sherry, provenant de Jerez de la Frontera, en Espagne. Fait à noter, les relations entre The Dalmore et les producteurs de sherry González Byass remontent à 150 ans. C’est cette entente exclusive entre les deux sociétés qui permet à l’équipe écossaise d’avoir accès aux meilleurs barils de Matusalem. Ces barils confèrent au whisky ses tons cuivrés profonds et son goût riche.
À cette étape, Scott Horner et son équipe prélèvent des échantillons à soumettre au nez du maître distillateur. L’attachement de The Dalmore aux précieuses gouttes de whisky haut de gamme signifie que la marque ne produit pas en quantités massives : à peine quelque trois millions de litres par an. Depuis 10 ans, la société a également arrêté de contribuer à la production de blended whiskies en Écosse pour se concentrer exclusivement sur son propre produit. Comme l’explique Scott Horner : « Tout ce que nous faisons maintenant, c’est The Dalmore pour The Dalmore. »
De tous ses célèbres whiskies, The Dalmore King Alexander III est sans doute le plus complexe, vieilli dans des fûts de bourbon, de sherry oloroso Matusalem, de madère, de Marsala, de porto et de cabernet-sauvignon, procurant au liquide un étourdissant éventail de saveurs. Mais il est loin d’être le plus coûteux de la marque.
Les clients et investisseurs potentiels peuvent consulter Shauna Jennens pour décider d’investir ou non dans tout un tonneau de leur breuvage préféré. Il est possible de le faire embouteiller immédiatement, ou de le laisser reposer davantage, ce qui dans le métier peut vouloir dire des dizaines d’années. Ceux qui ne veulent pas attendre peuvent le faire décanter dans des bouteilles personnalisées. Bien que certains éléments de design puissent être sélectionnés dans le portefeuille de The Dalmore, l’emblème distinctif du cerf royal demeure en bonne place sur chaque bouteille (la légende veut qu’à la chasse, Alexandre III, roi d’Écosse, fut sauvé de l’attaque d’un cerf par Colin Fitzgerald, fondateur du clan Mackenzie).
D’autres investisseurs achètent des bouteilles sans la moindre de goûter au whisky. En effet, si certains choisissent d’investir dans des œuvres d’art, l’évaluation comporte des risques; ce qui n’existe pas pour le whisky, car, règle générale, plus il reste longtemps en baril, plus sa valeur augmente. Et cela, malgré la part des anges, cette portion d’alcool qui s’évapore lentement pendant le vieillissement en fût. The Dalmore prend grand soin de mesurer régulièrement la teneur exacte en alcool, pour s’assurer que son whisky mérite toujours l'appellation légale de « scotch ». Géré adéquatement, comme ici, un tonneau de scotch bien sélectionné peut voir sa valeur grimper au fil des ans. Le plus vieux baril conservé sur place compte près de 70 ans, ce qui hisse sa valeur potentielle autour du million. En 2017, une bouteille de The Dalmore de 62 ans s’est vendue chez Christie’s à 150 000 $, et l’an dernier une bouteille unique baptisée L’Anima est partie pour 141 000 $.
Le destin de tels contenants risque peu de comporter le plaisir du goût. « Eh bien, ça dépend. Par exemple, pour notre collection de 21 bouteilles – Constellation, certains clients nous disent qu’ils en boivent une, et conservent les autres », explique Shauna Jennens. « Lorsque vous avez en main un whisky comme le Trinitas, produit à seulement trois exemplaires, alors non, ils n’y touchent pas. Sa valeur est bien plus grande s’il reste dans la bouteille. » Bien que ce soit probablement en vue de préserver la valeur du liquide qu’elles contiennent, on peut aussi croire que les bouteilles porteuses d’un tel investissement de temps et de savoir-faire méritent de rester intactes, comme toute autre œuvre d’art.
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