Rolls Royce
Perspective

Les rois de la route

Le réputé constructeur automobile nous accueille sous le capot de son usine de Goodwood.

Rolls Royce car

Niché dans la campagne verdoyante près de la côte méridionale de l’Angleterre, le siège social architectural primé de Rolls-Royce Motor Cars est très loin – dans tous les sens du terme – d’une usine automobile normale.  

À deux heures de Londres, sur un site de 16 hectares en périphérie de Chichester, dans le West Sussex, l’usine de Goodwood est une merveille de design moderniste, avec ses murs aux colonnes de verre et d’acier couverts du plus grand toit végétal sur une usine du Royaume-Uni (d’environ 32 000 mètres carrés). Construite au bord d’un grand lac central pour faciliter le drainage et attirer les oiseaux, et entourée de plus de 400 000 plantes et arbres, cette usine bien pensée se marie sans effort à la campagne anglaise, tout en réduisant l’empreinte environnementale de l’entreprise. 

Ouverte en 2003 et agrandie depuis, l’usine de Goodwood accueille la conception et le montage de tous les modèles actuels de la célèbre marque. L’histoire de cette griffe remonte aux premiers jours de l’automobile, en 1904, lorsque le génie ingénieux Henry Royce s’est joint à l’entrepreneur aristocrate Charles Rolls. Leur modèle avant-gardiste Silver Ghost lancé en 1906 a été sacré « meilleure voiture du monde » par le magazine Autocar en raison de sa puissance, de sa qualité, de son raffinement et de sa fiabilité inégalés. Ce superlatif lui est resté et la marque est devenu synonyme de ce qui se fait de mieux dans tous les domaines : « la Rolls-Royce de… ». Aujourd’hui, la société est toujours en quête de perfection, n’ayant vendu que 4 107 voitures en 2018, soit le total annuel le plus élevé dans les 115 ans d’histoire de la marque, et comptant plus de 2000 employés. Mais contrairement à d’autres sociétés de produits de luxe, son siège social est également un lieu où les clients peuvent discuter de leurs spécifications et vivre directement l’expérience du savoir-faire de la marque. 

« Ce qui nous distingue, c’est la façon dont le processus créateur commence », explique Alex Innes, chef du design de carrosserie de Rolls-Royce, dans l’atmosphère raffinée des ateliers. Là, des échantillons de cuir, des bobines de fil de première qualité et des exemples de marqueterie de bois exotiques sont soigneusement exposés derrière de confortables sofas et des tables de réunion. « Il est important de comprendre la définition du mot anglais bespoke, (« sur mesure ») poursuit M. Innes. « Ce mot est plutôt galvaudé, mais son origine est bien connue. Dans Savile Row, lorsqu’un vêtement était coupé pour un client en particulier et mis de côté, c’était pour qu’on en parle – « to be spoken for ». Cette même philosophie nous sert aujourd’hui à créer ces voitures magnifiques. Tout commence par le client. » 

Rolls Royce facility

Comme presque toutes les Rolls-Royce ont des éléments sur mesure, ce qualificatif n’est pas sans fondement. « Nous n’offrons pas d’options prédéterminées, explique M. Innes. Nous partons d’une page blanche : nous mettons le client en présence de l’équipe de design, non devant un vendeur. Ce qui rend le processus similaire à la construction d’un super-yacht ou d’une maison de rêve. » 

Rolls-Royce offre cinq modèles – la Dawn, la Ghost, la Wraith, la Phantom et plus récemment le VUS de luxe Cullinan – mais en 2017, la marque a également présenté un modèle exclusif créé pour un seul client, la Sweptail. « C’est sûrement le seul exemple de construction automobile à ce niveau, pendant l’ère moderne », indique M. Innes de ce projet de quatre ans. « Auparavant, le client avait passé des commandes relativement modestes en comparaison, se souvient-il. Mais nous avons bâti la confiance par petites étapes et il nous a alors dit qu’il voulait quelque chose de spécial et qu’il était prêt à patienter. Nous nous sommes inspirés de l’âge d’or de la construction automobile (les années 20 et 30), celles des belles proportions et des lignes de toit spectaculaires. »  

Rolls Royce

Le résultat est une deux portes à deux places affichant une carrosserie originale qui s’élance vers l’arrière en forme de bateau – d’où le nom. L’intérieur de la Sweptail est tout aussi impressionnant, avec un habitacle lumineux offrant du rangement pour des mallettes, un seau à champagne et un panneau arrière en bois orné. Et l’enthousiasme de M. Innes, presque incrédule devant l’ambition du projet, est tangible : « On me demande souvent ce qui est le plus remarquable du Sweptail, et je réponds “le simple fait d’exister!” C’était un concours de circonstances unique. »  

Même sans aller jusqu’à ce que Torsten Müller-Ötvös, pdg de Rolls-Royce, considère comme « la voiture la plus coûteuse jamais construite », tous les clients obtiennent un excellent service avec designers, artisans et ingénieurs sous un même toit. « La relation personnelle avec nos clients s’étend à tous ceux et celles qui travaillent à leur voiture, explique M. Innes. Nous pouvons aller à l’atelier de menuiserie et discuter d’une solution en particulier avec les ouvriers là-bas. Tout se trouve sur un seul site et nous pouvons échanger directement, ce qui est évident dans la qualité de nos réalisations. » 

L’atelier de menuiserie est doté d’une chambre à humidité contrôlée qui maintient ses divers placages à 25 °C (77 °F) afin de les rendre suffisamment malléables pour être façonnés. Seuls les placages ayant le plus de cachet sont sélectionnés – « 40 % sont rejetés parce qu’ils ne sont pas assez intéressants », admet l’artisan du sur mesure John McWilliam – et les tranches de 0,5 mm (0,02 po) d’épaisseur peuvent être poncées plus fin pour qu’on installe de l’éclairage derrière, qui luit à travers. Mais malgré l’aspect artistique évident, M. McWilliam, diplômé en génie mécanique, tient tout autant à souligner les prouesses fonctionnelles de ces matériaux. « C’est un produit d’ingénierie, pas simplement un morceau de bois, souligne-t-il. Le coussin gonflable [derrière] doit tout de même performer. » 

Rolls Royce leather

Ailleurs dans l’usine, Brian Staite, directeur général de l’atelier de cuir, choisit des peaux. En tout, 473 pièces distinctes sont coupées pour le Phantom à empattement allongé, et seules certaines sections sont jugées appropriées. « Pour un accoudoir, nous utilisons le cuir souple du ventre,dit-il, mais pour le siège, il faut du cuir plus robuste, de la région de l’épine dorsale. » Les défauts sont marqués et évités, avec un degré de précision incroyable. Pour illustrer ce point, M. Staite montre un morceau de cuir sans problèmes superficiels évidents. Le retournant, il révèle une légère bosse sur le dessous, ce qui pourrait rendre la surface moins lisse une fois étirée sur un élément rigide; la pièce est donc rejetée. Cela dit, Rolls-Royce n’accumule pas les déchets : les chutes de cuir sont envoyées aux industries de la mode et de la chaussure et les placages inutilisés sont donnés à un organisme de bienfaisance local pour la production de meubles et d’autres produits de collecte de fonds. 

L’atelier de peinture a recours à des robots, pulvérisant certains modèles de 22 couches, qui reproduisent les couleurs de tout article soumis par le client (à ce jour, les échantillons comprennent une teinte préférée de rouge à lèvres et la fourrure d’un setter irlandais; la base de données de couleurs de Rolls-Royce compte 44 000 nuances). Mais en déambulant le long de la chaîne de montage propre – ponctuée d’œuvres d’art commandées tout spécialement pour ajouter à l’ambiance – on chercherait en vain la saleté, le bruit et les cliquetis caractéristiques des usines conventionnelles. Chaque pièce individuelle, des petits interrupteurs aux gros moteurs, est assemblée par des humains selon une méthode qui exige environ deux jours pour chaque voiture. Dans une allée latérale, une jeune femme enfile laborieusement de l’éclairage à fibre optique dans jusqu’à 1 900 trous forés à la main dans le tissu d’un plafond pour créer chaque élément du ciel étoilé du Starlight Headliner. Les clients peuvent choisir leurs constellations préférées et pour l’édition Wraith Luminary spécifier un effet « étoile filante », conçu initialement à la suggestion d’un client et qui peut exiger 15 heures à réaliser. 

assembly line Rolls Royce

Alors que notre visite du siège social de Rolls-Royce tire à sa fin, la conversation avec M. Innes se tourne vers l’avenir. « Alors que d’autres marques doivent se transformer pour rationaliser l’électrification, pour Rolls-Royce, la synergie est déjà là, dit-il avec enthousiasme. « C’est une conduite silencieuse, avec une quantité énorme de couple disponible à faible régime, surtout en parcours urbain et avec, la plupart du temps, le retour au point de départ, c’est donc parfait pour la recharge. » 

Mais bien que Rolls-Royce ait recueilli des impressions sur un prototype électrique déjà en 2011 et présenté le concept 103EX Vision Next 100 entièrement autonome et électrique en 2016, M. Innes admet que, vu l’élément de compromis qui subsiste avec la technologie électrique aujourd’hui, on est peut-être encore un peu loin d’une Rolls-Royce électrique. « Le mot “compromis” n’est généralement pas associé à Rolls-Royce, surtout du côté des clients, dit-il calmement avec le sourire. Dès qu’il existera une technologie et une méthode que nous pourrons mettre en marché de façon crédible et qui n’offriront absolument aucun compromis par rapport à une voiture à essence préexistante, ce sera le bon moment. Évidemment, nous nous y préparons. » 

Pour voir un autre exemple de savoir-faire réputé, lisez notre article sur  Graff Diamonds

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